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Dans le cadre du cours de littérature, nous avons dû réaliser une anthologie poétique.
Qu'est-ce qu'une anthologie poétique ? C'est un recueil de poésies d'auteurs divers, qui a pour but de faire découvrir des poètes peu connus, souvent en choisissant les poèmes pour un thème commun.Notre anthologie devait être sur le thème de notre choix et contenir une dizaine de poèmes ainsi que quelques documents iconographiques. J'ai, pour ma part, choisi le thème des doutes, assez vaste mais que j'ai exploité sous un angle personnel. Voici mes trois poèmes préférés parmi les 11 que j'ai choisi (accompagnés de mes commentaires) :
Cette chanson de Fauve prend aux tripes. Construite sur une anaphore, « Nous sommes de ceux », elle fait la liste des symptômes d’un mal-être, un mal-être en société, un mal-être dans notre peau, qui est commun à beaucoup de monde. Elle est porteuse d’espoir mais est surtout une sorte d’explosion : une colère contenue qui éclate au grand jour, comme pour montrer à ceux qui ne sont pas « De ceux » toute la souffrance qui se cache derrière l’apparence des gens mal dans leur peau.
De ceux
Nous sommes de ceux qu'on ne remarque pas
Des fantômes, des transparents, des moyens
Nous sommes de ceux qui n'rentrent pas en ligne de compte
Nous sommes de ceux qu'on choisi par défaut
Nous sommes de ceux qui ont la peau terne, les traits tirés
Et le regard éteint, des visages pales, des teints gris
Nous sommes de ceux qui s'délavent de jour en jour
Nous sommes de ceux qui ont du mal à s'entendre penser
Nous sommes de ceux qui se maîtrisent difficilement
Nous sommes de ceux qui mettent mal à l'aise en public
Nous sommes de ceux qui dérapent dans les escaliers des bibliothèques
Nous sommes de ceux qui dansent de façon embarrassanteNous sommes de ceux qui font l'amour en deux temps
Nous sommes de ceux qui s'y prennent à l'envers avec les autres
Nous sommes de ceux sur lesquelles on ne parie jamais
Nous sommes de ceux qui n'savent plus raisonner de façon logique
Nous sommes de ceux qui ont tout fait comme il faut, mais qui n'y arrivent pas
Des ratés modernes, des semi-défaites, des victoires sans panache
Nous sommes de ceux qui n'tiennent pas la pression
Nous sommes de ceux qui s'font balayer à répétition
Nous sommes de ceux qui s'font assister, des baltringues, des éclopés, des faibles
Nous sommes de ceux qui prennent des trucs pour tenir le coup
Nous sommes de ceux qui n'savent pas dire non
Qui n'connaissent pas la rébellion, qui n'soutiennent pas les regards
Nous sommes de ceux qui sont tabousEt pourtant ...
Nous sommes de ceux qui n'renoncent pas
Des chiens enragés, des teigneux, des acharnés
Nous sommes de ceux qui comptent bien d'venir capable de tout encaisser
Nous sommes de ceux qui établissent des stratégies dans l'obscurité
Pour reprendre la main, jouer selon leur propres règles et forcer le destin
Nous sommes de ceux qui en ont assez de leur propre férocité
Des requins-tigre en bout de course, des voyous qui demandent pardon
Des apprentis repentis
Nous sommes de ceux qui veulent à tout prix tabasser leur part d'ombre
Et faire taire leur sales travers
Nous sommes de ceux qui cherchent à rejoindre les rangs
Des lions, des maquisards, des résistants, des sentiments
Nous sommes de ceux qui roulent pour eux, et pour leur périmètre
Nous sommes de ceux qui pissent encore dans la douche
Mais qui espèrent réussir un jour à pisser droitNous sommes de ceux qui cherchent à désarmer la mort
A coups de grenade lacrymo pour les freiner et les maintenir à distance
Nous sommes de ceux qui espèrent croiser la vie
Un soir au détour d'une avenue pour la séduire, la ramener
Et lui faire l'amour de façon brûlante
Nous sommes de ceux qui ont les yeux écarquillés en continu
Des ahuris, des ébahis
Qui guettent les comètes, les planètes et les épiphanies
Nous sommes de ceux qui cherchent à désirer ce qui est enfouit
Tout ce qui est caché, et qui demande qu'à être sorti
Nous sommes de ceux qui veulent rétablir le contact avec ceux qui sont partis trop tôt
Parce qu'ils savaient pas qu'il y avait une fin cachée
Nous sommes de ceux qui continueront à courir
Comme s'ils étaient poursuivis par des balles
Qui desserreront jamais les mâchoires sauf pour sortir les crocsFauve, 2014
Esther Granek a, je trouve, parfaitement cerné ce doute omniprésent qu’on ressent principalement à l’adolescence. Un dégoût de soi, une éternelle remise en question. Dans ce poème, elle présente tous les contraires qui se battent en duel dans notre tête, avec des mots très simples mais justes.
Contradictions
Ils cohabitent en moi.
Se battent sans qu’on le voie :
Le passé le présent
Le futur et maintenant
L’illusion et le vrai
Le maussade et le gai
La bêtise la raison
Et les oui et les non
L’amour de ma personne
Les dégoûts qu’elle me donne
Les façades qu’on se fait
Et ce qui derrière est
Et les peurs qu’on avale
Les courages qu’on étale
Les envies de dire zut
Et les besoins de lutte
Et l’humain et la bête
Et le ventre et la tête
Les sens et la vertu
Le caché et le nu
L’aimable et le sévère
Le prude et le vulgaire
Le parleur le taiseux
Le brave et le peureux
Et le fier et le veule…
Pour tout ça je suis seul.Esther Granek, Ballades et réflexions à ma façon, 1978
Le poème est construit à la manière d’une chanson : un couplet puis un refrain. Des mots sont « mangés » comme dans le langage parlé, et le vocabulaire est courant voire familier. Ce niveau de langue nous rapproche du poète et nous plonge dans son récit. Esther Granek décrit ce qu’on ressent lorsqu’on est mal dans sa peau. Avec des phrases très simples, elle touche du doigt un problème commun à tous et pourtant presque impossible à éradiquer.
Bien dans sa peau
Paraît que pour être au plus haut
faut se sentir bien dans sa peau.
Si donc nous nous y sentons mal
ça peut nous bouffer le moral
et c’est porte ouverte aux dégâts…
Aussi soyons de notre temps
car qui voudrait tels embarras ?
Solutionnons en nous soignant
Ché pas si j’ai bien expliqué.
P’têt’ qu’un ajout peut y aider…*
Paraît que pour s’épanouir
avant tout faut se définir.
S’adore-t-on ? Quand ? Et comment ?
Se déteste-t-on mêmement ?
Si c’était les deux à la fois
(car connaît-on ce qu’on engrange ?)
faut en situer les pourquoi
et clarifier un tel mélange.
Ché pas si j’ai bien expliqué.
P’têt’ qu’un ajout peut y aider…*
Paraît que pour être serein
faut pas jouer au p’tit malin.
N’hésitons pas à exposer
ce qui en nous fut enterré
dans les entrailles du non-dit
depuis peu, ou des décennies,
et qui pourtant respire encore
causant en nous le plus grand tort.
Ché pas si j’ai bien expliqué.
P’têt’ qu’un ajout peut y aider…*
Paraît que pour tourner le dos
aux dépressions et autres maux,
faut réparer là où ça craque.
Si vous pensez : “J’en ai ma claque.
Je me croyais hier un génie
et moins qu’une merde aujourd’hui”,
pour vous sortir de ce micmac
au plus tôt videz votre sac.
Ché pas si j’ai bien expliqué.
P’têt’ qu’un ajout peut y aider…*
Paraît que pour s’équilibrer,
en soi autant qu’en société,
les procédés courent les rues.
Y’a qu’à mettre son âme à nu
et décortiquer sa substance.
L’implication de mille traits
s’entremêlant en permanence
ne devrait pas vous affoler…
Ché pas si j’ai bien expliqué.
P’têt’ qu’un ajout… ?Esther Granek, Synthèses, 2009
J'ai fureté entre les étagères des bibliothèques afin de trouver des poèmes pertinents, mais la plupart viennent du site Poetica où j'ai trouvé la série de poèmes d'Esther Granek, qui correspondaient parfaitement à mon thème. J'ai également mis deux chansons de Fauve, le collectif qui créé des chansons parlées (et que je vais bientôt voir en concert *w*). Si vous avez l'occasion ou simplement le temps de réaliser une anthologie poétique, je vous le conseille, c'est très intéressant et vos recherches vous permettront d'étendre votre culture générale (aussi bien en poésie qu'en peinture et en photographie, et également en histoire car vous serez sûrement amenés à replacer les poèmes dans leur contexte historique).
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