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    Prologue


    En 2055, les uGlass, lunettes à réalité augmentée, sont le produit le plus vendu au monde. Leur créateur, Arthur Tone, directeur de la société Pear, croule sous l’argent grâce au succès de ses lunettes. Tout le monde les adore, elles ont remplacé l’ordinateur ainsi que le portable. La population mondiale tout entière est conditionnée aux uGlass. Cependant, quelques personnes résistent à cette technologie. Ils prétendent que les uGlass abrutissent tout le monde et que l’humanité court à sa perte. Mais personne ne les écoute, pourquoi ? Dans ce monde futuriste, quelques personnes saines d’esprit essayent de survivre. Suivons la longue épopée de Zazou, entièrement opposée aux uGlass, qui tente de se faire entendre.

    Chapitre 1

    Zazou gara son vélo contre la petite barrière bleue du square. Comme chaque samedi, elle se rendait au rassemblement d’une trentaine d’ados normaux, « uGlass addicts » comme les surnommait Zazou en son for intérieur. Tous assis dans l’herbe, ils jouaient à des jeux vidéos, parlaient, mangeaient, prenaient des photos. Normalement, les gens comme Zazou n’étaient pas conviés à ce genre de fêtes. Avoir des amis, ce n’était pas pour les MUSHY.
    S’il n’y avait pas eu Lena.

    Zazou l’avait rencontrée trois ans plus tôt, à la sortie du métro. C’était un soir de printemps, il faisait chaud; le train était plein à craquer. Elle avait pour habitude de sauter sur le quai à l’arrêt du train, d’un pas souple et léger. Elle n’avait pas d’amies, et s’inventait donc des petites habitudes qui l’amusaient. Sauter du train lui permettait d’une certaine manière de « s’expulser » de la foule de gens normaux qui, à travers le plastique bleu des lunettes, l’observaient d’un oeil mauvais. Mais cette fois elle avait raté son coup et s’était écrasée contre quelqu’un. C’était une jolie fille, grande et mince, avec des cheveux noirs plein de boucles. Sans ses lunettes, elle aurait été magnifique. Étalée par terre, Zazou la contemplait. Puis elle s’était rendue compte qu’elle ne portait pas ses uGlass. Elle s’était caché le visage des mains, attendant les larmes aux yeux de se faire couvrir d’insultes et de coups. Les réactions face aux MUSHY étaient excessives. Les gens se défoulaient sur eux, les nuls, les idiots qui ne comprenaient rien. Tout cela parce qu’ils pensaient différemment. « Pitié » chuchotait-elle. La fille aux cheveux noirs avaient esquissé un sourire attendri et l’avait relevée. « Je ne vais pas te frapper, ne t’inquiète pas.» Elle riait amèrement. Zazou avait enlevé ses mains et laissé apparaître un visage couvert de larmes.
    C’était la première fois qu’une personne normale lui parlait comme cela, d’une voix si douce, si pleine de bonnes intentions. Même sa mère lui rappelait chaque jour qu’elle était demeurée en saccadant bien ses mots lorsqu’elle lui parlait.
    « Je m’appelle Lena » avait dit la fille en essuyant les joues de Zazou du dos de sa main. « Zazou...» avait répondu cette dernière. Lena avait souri une nouvelle fois.
    « Je ne t’en veux pas de m’avoir bousculée, Zazou.
    - C’est vrai ? » Les yeux verts de Zazou avaient retrouvé un peu de leur pétillement. Bien qu’elle vive dans une angoisse et un mal-être constant, Zazou avait toujours les yeux pétillants. Des yeux profonds et intelligents. Mais cela, elle ne s’en doutait pas, car tout le monde lui affirmait qu’elle était idiote.

    Depuis ce jour, Lena était celle qui la défendait et la protégeait. Une amie, c’était ce dont Zazou avait toujours rêvé. Lena était d’une tendresse infinie envers tout le monde. Elle avait une voix très douce, qui réchauffait le coeur. Mais Zazou sentait tout de même un décalage entre elles deux. Lena était comme les autres, une uGlass Addict. Même si elle trouvait les mots pour parler à Zazou et la réconforter, elle passait son temps ses lunettes sur le nez, à concourir à la popularité. Elle était souvent exaspérée lorsque Zazou refusait de porter ses lunettes durant la fête du samedi, ou quand elle persistait à dire que les uGlass étaient mauvaises. Zazou savait que si elle acceptait de porter ses lunettes, elle serait traitée comme une personne normale. Elle aurait plein d’amis, vivrait heureuse et sans peurs. Mais les uGlass la révoltaient. Avant leur arrivée, la technologie était en progrès constant et les hommes vivaient heureux dans une intelligence presque commune. Ils inventaient chaque jour de nouvelles choses, dans la protection de l’environnement (les voitures à énergie solaire, les parcs naturels partout dans le monde dans lesquels vivaient toutes les espèces d’animaux) ainsi que dans la communication et le partage de données (oreillettes pour téléphones incrustés dans n’importe quel accessoire, une reprogrammation entière du Web). Les ressources de la Terre ne s’épuisaient plus et la science progressait. On aurait pu appeler cela la Grande Révolution Scientifique. Mais cet homme, Arthur Tone, était arrivé et avait fait sombrer toutes ces technologies en inventant les uGlass. Bien sûr, ce genre de lunettes existait déjà. Mais en petit nombre et avec des fonctionnalités réduites. Milliardaire, Arthur Tone avait racheté la société Pear et combiné toutes les technologies possibles et imaginables dans une petite paire de lunettes, inventant à la fois un objet révolutionnaire et un «bouffe-neurones».  Tout le monde adorait les lunettes. Elle servait à tout. Internet, visioconférence, GPS, téléphone, messagerie, appareil photo, lampe torche, écran de jeux...etc. Plus de 10 000 applications avaient été créées pour ces lunettes. Elles captaient le réseau partout, même 1 km sous terre. Tout le monde s’en servait, et tous en étaient contents. Sauf les MUSHY. Mal-adjusted to UGlass System Human. Littéralement : Humain inadapté au système uGlass. C’était principalement des enfants, car une fois adulte on se résignait à porter les uGlass, indispensables à n’importe quel travail. Les MUSHY haïssaient ces lunettes. Tout d’abord car ils ne les supportaient pas sur leurs yeux. Ceux-ci étaient sensibles et la proximité d’un écran donnaient un mal de crâne affreux. À force de ne pas porter les uGlass, les MUSHY se rendaient compte qu’elles pourrissaient entièrement le cerveau, comme une drogue, elle emprisonnaient tout le monde. Les uGlass servaient à tout, elles étaient donc utilisées partout et tout le temps. Résultat, à force de regarder cet écran, elles montaient à la tête des gens et ils devenaient stupides. Mais malheureusement, tout avait été prévu pour que ce soit les MUSHY les idiots. Le monde à l’envers. Les rares personnes saines d’esprit se faisaient toute leur vie insulter et remettre à leur place. On leur faisait suivre des psychologues et des cours particuliers. Ils étaient différents, donc dangereux pour la société. Ainsi, beaucoup de MUSHY se résignaient à devenir comme tout le monde et porter les uGlass. Les autres passaient une vie de souffrance, refusés dans les entretiens d’embauche, errants tels des fantômes, mal-aimés.
    Zazou était une MUSHY. Elle comme les autres souffrait de cela. Elle avait honte, mais elle voulait affirmer son opinion sur les uGlass, que quelqu’un l’écoute. Elle avait une amie, certes, mais elle ne l’écoutait pas. Elle était seule dans ce vaste monde rempli de uGlass Addicts.

    De grands panneaux publicitaires étaient affichés partout pour présenter le dernier modèle des uGlass. En bas de chaque panneau, ce slogan ridicule vantant l’entreprise qui fabriquait les uGlass : « Everybody is Pear » Jeu de mot ou pas, ce slogan disait vrai. Ces affiches faisaient rire Zazou. Après tout, pourquoi pas ? Laisser l’humanité se dégrader ainsi et s’en moquer de la sorte, pourquoi pas ? Mais que l’on arrête de la persécuter. Elle n’avait rien fait de mal, elle voulait simplement vivre. Vivre dans un monde réel, sans contrefaçon, sans uGlass.
    Elle entra dans le parc. Lena discutait avec quatre filles qu’elle ne connaissait pas. C’était toujours comme cela : Lena faisait de nouvelles rencontres et Zazou restait à côté de son amie, comme un poids, une intruse. Elle savait que cet endroit n’était pas sa place. Cependant elle ne voulait pour rien au monde perdre sa seule amie, même si avec elle elle ne partageait rien.
    Zazou s’assit à quelques mètres de Lena et contempla le parc. Il faisait très beau, pour un après-midi d’automne. Après plusieurs semaines de pluie, le soleil avait enfin recommencé à briller, et il éclairait désormais les trente adolescents regroupés dans le parc. Dix environ jouaient aux mimes. Ce jeu était redevenu à la mode depuis quelque temps, après la sortie de la nouvelle application : elle recherchait des noms dans nos contacts, puis en proposait un au propriétaire des uGlass. Cette personne devait mimer et les autres deviner. Quelques mètres plus loin, cinq garçons étaient allongés dans l’herbe, les bras en l’air, un volant imaginaire entre les mains. Sûrement un jeu de course, pensa Zazou. Ce spectacle lui était offert chaque semaine, et pourtant elle le trouvait chaque fois tout aussi ridicule que la précédente. Pourtant, cela ne paraissait déranger personne.
    Lena l’aperçut enfin : « Zazou ! cria-t-elle en lui faisant un signe. Viens ! »
    Elle s’approcha du groupe de filles. Toutes les cinq étaient assises en cercle autour d’un paquet de sucreries dans lequel elles piochaient volontiers en riant et papotant. Lorsque Zazou s’assit à côté de Lena, le silence se fit. Zazou regarda son amie d’un air désespéré. Celle-ci lui ordonna silencieusement de mettre ses lunettes. Lorsque le plastique se scotcha à sa peau, Zazou tressaillit.
    « T’as raison, lui lança une fille, moi aussi j’aime bien les enlever de temps en temps pour admirer le paysage. » Toutes les quatre se mirent à ricaner. Lena resta neutre.
    Zazou voulait disparaître derrière son écran. Elle avait l’habitude de ce genre de railleries, et celles-là étaient les moins blessantes, mais venant des amies de Lena, qui ne la défendaient pas, cela lui pesait sur le coeur.
    Après moult allusions de plus en plus cruelles à sa classe sociale, les filles recommencèrent à discuter comme si elle n’existait pas. Elles parlaient de l’application LOVE.  Elle permettait de classer les garçons selon notre ordre de préférence, selon qu’il était sympa, beau, musclé. Les photos accompagnées des noms s’affichaient en colonne, à côté des petites étoiles estimant tel caractère de 0 à 5. Lena et ses amies avaient mis en commun les listes, ainsi elles pouvaient comparer leurs goûts. « Moi, déclara Lena, c’est Brad que je préfère. Il a vingt petites copines en même temps, mais il embrasse super bien et il est beau comme un dieu. 5 étoiles en tout. » Le coeur de Zazou bondit en entendant le nom de Brad. C’était le garçon le plus populaire de la ville, car il était magnifique et super sympa. Il enlevait parfois ses lunettes pour parler aux gens, ou les relevait de temps en temps pour soulager ses yeux. Bien qu’il fasse partie des uGlass Addicts, Zazou était certaine que c’était un MUSHY dans le fond. Elle ne le fréquentait pas beaucoup, mais étant l’ex de Lena, elle l’avait assez vu pour en tomber amoureuse.


  • Commentaires

    1
    Mercredi 5 Février 2014 à 19:28

    Waouh! Vachement sympa comme histoire ! En plus c'est dans un genre que j'aime bien ^^

    Continue-là elle est super ton histoire !

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    2
    Jeudi 6 Février 2014 à 19:18
    Merci beaucoup ! Ça me motive pour continuer :)
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