• La naissance de Vénus

    « Au cours d’une visite au musée, tu te trouves mystérieusement happé par l’oeuvre que tu contemples. Cette dernière va t’emmener au coeur de son histoire...»

    Il était 18h. Le soleil se couchait, et le musée se teintait d’or, tandis que les derniers rayons venaient caresser ma peau. Ce n’était pas la première fois que je visitais la Galerie des Offices de Florence. Dans ma famille, c’était un rituel de déambuler chaque premier dimanche du mois dans ses couloirs. Car chaque mois, on redécouvrait un tableau, au fond d’une salle. On remarquait un détail, une sculpture sans nez, un animal insolite peint en arrière plan. Ce musée m’était familier, et, féru de peinture,  j’appréciais ces visites.
    La fermeture était proche. Je m’attardais devant les tableaux, contemplant les courbes, les aplats. Lorsque inconsciemment je me retrouvai devant La naissance de Vénus. Ce tableau était mon préféré, non pas à cause de son succès, mais parce que j’étais passionné de mythologie et me nourrissais des mythes ainsi que de ce qu’ils nous apportaient aujourd’hui. Au fond de moi je m’étais toujours imaginé Vénus, la belle, la plus parfaite de toutes. Ce tableau était une fidèle représentation de mes rêves, avec les courbes exquises de la déesse et son visage confus, ses longs cheveux bouclés et son teint d’un blanc pur. Elle sortait des eaux doucement, portée par une immense conque. Les plis des tissus eux aussi me fascinaient. À leurs formes on sentait le vent, comme s’il était là, ce Zéphyr venant de l’ouest du tableau, qui faisait voler les cheveux de Vénus et le voile de l’ Heure qui tentait de l’en couvrir.
    Je m’apprêtais à repartir, à murmurer À bientôt à ce tableau dont je sentais le sens caché, mais quelque chose me retenait. J’étais comme paralysé sur place, mes yeux ne voulaient plus se détourner du visage de Vénus. Ses yeux... Ses yeux me semblèrent tout à coup si proches, ses cheveux si réels, que je vacillai. Puis je tombais en avant, soudain épuisé. Je m’apprêtais à ressentir le froid dur du sol de marbre, mais c’est un tapis d’herbe qui me reçut. J’avais fermé les yeux, le temps d’un instant. Une lumière dorée m’éblouit lorsque je levai les paupières. Des chants d’oiseaux me parvenaient, des bruissements de vagues qui se brisaient sur une étroite plage d’herbe.
    La lumière venait d’une clairière bordée de petits arbres au feuillage foncé. Le Soleil était immense, éclatant de mille feux. Il semblait presque vivant et j’eus un mouvement de recul. Mon coeur battait à rythme rapide et saccadé, comme le galop d’un cheval. J’avais ce sentiment brumeux du semi réveil, lorsque l’on s’éveille sans envie de quitter les bras de Morphée. Malgré la magnificence du paysage qui m’entourait, c’était un paysage inconnu. La peur commençait à me tirailler tandis que je reprenais conscience : j’avais littéralement été avalé par le tableau.
    Je me dressais sur mon séant. Mon blouson de cuir et mon jean taille basse avaient cédé leur place à une longue toge bleue; je me sentais dénudé et efféminé. Je me levai doucement, le souffle court, le coeur battant, cherchant une porte, une sortie. Rien. Je me sentis las et impuissant, face à ces forces magiques que jusqu’alors je ne connaissais que dans mes livres d’enfant. Jamais je ne m’étais imaginé cette situation, et voilà que, ébahi, je me trouvais à Cythère, plus de cinq mille ans dans le passé. J’avais toujours rêvé de visiter la Grèce, et ô comble de merveilles j’y étais enfin, malgré l’originalité du contexte.

    Une fois totalement remis de mon voyage, je réalisai qu’en me retournant, je découvrirais Vénus debout sur un coquillage, avec à sa droite Zéphyr et Chloris enlacés. Ému, frissonnant de soif de danger, je tournai la tête. Je ne vis pas tout de suite Vénus, car une immense aile d’ange passa délicatement devant moi, et je ne pus m’empêcher de la contempler. Elle était noire, comme celle d’un corbeau, et était rattachée au flan gauche de Zéphyr. Le dieu avait de longs cheveux crépus qui se confondaient avec ses ailes. Il portait une toge semblable à la mienne, et soufflait en ma direction, faisant voler les feuilles et le tissu qui me couvrait. Dans ses bras il tenait sa femme, Chloris, dont les cheveux blonds vénitien volaient dans le sens contraire au vent.
    Zéphyr écarta son aile. Mes yeux semblèrent fondre sur place lorsque je découvris Vénus. Elle n’était en rien semblable au tableau de Botticelli, sauf peut-être l’éclat doré de ses cheveux et sa peau couleur de lait. Cependant, la femme qui me faisait face dégageait une beauté sauvage, naturelle. Ses cheveux rebelles et emmêlés fouettaient son visage fin, presque osseux au niveau du menton. Son regard était doux, malgré la couleur d’acier de ses yeux en forme de gouttes d’eau. Ses formes étaient divines. Elle avait un corps élancé, musclé, délicat et à la fois robuste. Mais son physique n’était certainement pas sa beauté même. Elle souriait joyeusement, comme un nouveau-né découvrant le jour. Ses mouvements étaient doux et posés. Elle paraissait rayonner de l’intérieur, comme si un rayon de soleil l’habitait. Des fleurs de myrte dansaient dans le vent, formant autour de la déesse une frêle auréole de blancheur.
    Elle semblait sortie de l’écume, pourtant elle était entièrement sèche. Les vagues étaient vivantes et poussaient la conque en direction de la berge.
    Vénus me dévisageait paisiblement, me rendant mon regard curieux, et c’est ensemble que nous nous rendirent compte qu’elle était entièrement nue. Avec une pudeur feinte, elle posa délicatement ses mains sur ses parties intimes, tandis que je tournai la tête, confus de mon impudence. L’Heure,  que je n’avais encore pas remarqué, s’élança vers Vénus pour la couvrir d’un drap de soie rouge. C’est une fois vêtue que la déesse mit pied à terre et me regarda droit dans les yeux. Son regard me berçait, comme des vagues, il reflétait l’océan. Elle prit la parole doucement, d’une voix forte et suave :
    « Que viens-tu faire ici ? Et qui es-tu pour me dévisager ainsi ? » Elle fronçait légèrement les sourcils, et cette colère elle aussi feinte m’attendrit. Je m’apprêtais à répondre lorsque Zéphyr se manifesta. «  Ô Vénus, cet homme est un dieu venu de loin. déclara-t-il d’une voix douce et aérienne, semblable à un murmure. Il est ici pour vous accueillir, votre grâce. » Je tentai de protester mais Vénus me coupa : « Quel est ton nom ? »
    Je réfléchis un instant. Tout tournait en moi, la beauté éclatante de Vénus, mon arrivée dans le tableau, tout semblait si fou, que je ne pouvais me concentrer pleinement. Un seul nom me vint à l’esprit : « Mars. » déclarai-je d’une voix rauque. Ce n’était finalement pas une mauvaise idée, car lorsque la déesse me demanda ma fonction, mes compétences en arts martiaux me permirent de répondre sans ciller : « Je suis le dieu de la guerre, votre grâce. » Vénus me dévisagea. Puis me fit signe de la suivre en direction d’un char caché à l’ombre des arbres.
    Il était de bois peint, d’un beau rouge pâle assorti avec la robe de Vénus. Les chevaux s’ébrouèrent, et une fois la déesse et moi confortablement assis, il s’élancèrent dans le ciel. Je ne sais par quelle magie ils volaient, la magie divine certainement. Nous survolâmes mers et terres, villages et ravins. Je me sentais fort, aux côtés de cette femme merveilleuse dont les cheveux dans le vent me caressaient le visage. Plus rien ne comptait plus, hormis le parfum de sel qu’exhalait la déesse. Un parfum envoûtant, qui me montait à la tête, et me persuadait de tout accomplir pour elle. J’étais conscient que c’était l’effet désiré, que n’importe quel homme tombait sous le charme de Vénus, mais je ne pouvais détacher mes yeux de ses lèvres pulpeuses en forme de coeur.
    À mesure que nous approchions de l’Olympe, la lumière se faisait de plus en plus étincelante. Nous dominions la Grèce entière. Les chevaux galopaient sur le vent, semblaient chevaucher sur des pensées invisibles, des pensées qui nous poussaient à nous élever. Les portes de l’Olympe nous tendaient les bras et nous y fîmes une entrée majestueuse. Vénus avait une façon de se tenir qui me fascinait. Sa posture était droite, ses mouvements étaient lents, mais une certaine vivacité s’exprimait par ses rapides inclinaisons de la tête. Elle remit ses cheveux en place sur son épaule gauche. Une fleur de myrte était restée accrochée sur une mèche dorée. J’eus un instant de doute, puis pris mon courage à deux mains et attrapai méticuleusement la petite fleur. Vénus se retourna, souriante. « Tu es plus romantique que tu en as l’air. » susurra-t-elle. Je la saluai respectueusement et lui tendis la fleur. Elle la posa contre sa poitrine. Mon coeur battait la chamade. Ses doigts avaient effleuré les miens, et j’avais le sentiment que jamais ils ne retrouveraient une température normale. Ce que j’éprouvais était tellement fort, tellement subtil, tellement.. inhabituel. Jamais une femme ne m’avait fait cet effet-là.

    Un mois passa. Je logeais à l’Olympe, avec Vénus. Les premières semaines, la déesse n’avait pas répondu pleinement à mes avances. Elle jouait à chat avec mes sentiments. Son corps se mouvait avec sensualité lorsqu’elle passait près de moi, et lorsqu’elle me parlait, elle passait tout près de moi en murmurant à mon oreille. Mais chaque fois, lorsque je tentais de lui prendre la main, elle se dérobait.
    Mon amour m’avait fait tout oublier. Ma famille, ma vie réelle. J’étais devenu un dieu grec, et je me sentais à ma place. Les dieux m’acceptaient et me respectaient. J’avais rencontré avec excitation Jupiter, Apollon, Minerve, et tous les autres. J’admirais la puissante carrure du roi des dieux, les traits parfaits d’Apollon, la sagesse posée de Minerve. Je me méfiais de Junon, à cause des mythes qui n’en font point l’éloge. Je suivais Vénus partout où elle allait, littéralement envoûté. Cette femme était terriblement, insupportablement attirante. Sa vue plus captivante que le chant d’une sirène.

    C’était un amour qui envahissait tout. Un amour dévastateur. Un amour passionné, enflammé. Lorsque je la voyais, je tombais presque à genoux. Son regard me transperçait. Finalement, je n’étais pas prisonnier du tableau, mais de Vénus elle-même. Elle me retenait. Lorsqu’elle n’était pas là, que j’étais seul enfermé dans mes appartements, je me libérais quelque peu de son emprise pour remettre mes idées en ordre. Je pensais fuir cet envoûtement, mais lorsque je sortais elle était là, à m’attendre. Elle savait qui j’étais, c’était évident. Je pensais aller trouver Athéna, déesse de la sagesse, pour qu’elle me vienne en aide. Mais Vénus guettait le moindre de mes gestes, passant avec volupté ses mains sur ses hanches. Ah comme la nature humaine est influençable ! En ces moments je n’avais d’yeux que pour elle. Mon esprit se noyait dans mon amour.

    J’eus l’idée d’appeler Zéphyr à mon secours. Je ne sais d’où lui était venu l’idée que j’étais un dieu, mais il savait certainement d’où je venais, et il était mon seul espoir d’un jour revivre pleinement. « Ô Zéphyr ! criai-je dans le vent. Viens à mon aide ! » Le dieu ne tarda pas à arriver. De grandes ailes noires masquèrent un instant le soleil puis il se posa devant moi. Je me rappelai l’épopée d’Ulysse face aux sirènes et lui demandais de me ligoter avec des cordes et de m’emmener loin de ce monstre merveilleux.
    Nous nous envolâmes lentement. D’une fenêtre, Vénus m’appelait. Des larmes de désespoir roulaient sur mes joues. Je ne sais si je criais, si je tentais de cacher mes larmes. Mais mon coeur semblait se briser. Vénus lança la fleur de myrte dans le ciel, que j’attrapai au vol. Zéphyr me tenait dans ses bras vigoureux tandis que nous déchirions le ciel. Il me lâcha, et je tombai dans un vide infini.
    Ma chute dura une éternité. Le vent me fouettait de tous côtés. Je tenais la petite fleur serrée contre ma poitrine. Avec l’impact du sol, je sursautai. J’étais couché sur mon lit, les bras croisés, tel un mort. Je crus un bref instant que tout ceci n’avait été qu’un rêve, que pure illusion. Mais la fleur de myrte se tenait majestueusement contre mon torse.
    « Adieu Vénus » murmurai-je. Ma vie pouvait reprendre doucement son cours, avec seuls de vagues souvenirs d’une femme parfaite, divine, que je ne reverrais plus jamais.

     


  • Commentaires

    1
    Dimanche 9 Février 2014 à 19:06

    Très bien écrit, j'aime beaucoup, on ressent bien les sentiments de ton personnage, et l'histoire est sympa en plus ^^ Ton écriture est très fluide et agréable, continu comme ça !

    Juste un truc, là tu as donné les noms latins des dieux, tu ne devrais pas plutôt les dire en grec ? Aphrodite, Zeus… En plus à un moment tu as écrit "athéna", alors qu'au début tu disais "minerve" fais attention, des petits détails comme ça peuvent te faire perdre des points dans les concours de ce genre ^^

    J'espère t'avoir aidée ^^

    2
    Dimanche 9 Février 2014 à 19:15

    ah merde ! J'ai oublié de changer ce 'Athéna'. En fait j'avais commencé par mettre les noms grecs, mais comme le tableau s'apelle La naissance de vénus et que c'est son nom latin, j'ai tout changé. Putain moi qui croyais que j'avais une chance, là c'est mort... (je l'ai déjà envoyé)

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    3
    Dimanche 9 Février 2014 à 19:22

    ah dommage… c'est vrai que c'est un peu débile pour le coup… désolée pour toi :(

    Si t'as un peu de chance ils vont pas faire trop attention à ça… j'espère pour toi en tous cas, courage ^^

    4
    Dimanche 9 Février 2014 à 20:03

    Merki :3

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