• Le liseur du 6H27 — J.P. Didierlaurent

     

    Le liseur du 6H27 — Jean-Paul Didierlaurent — Éditions Au diable Vauvert — 16 € 

     

    Un modèle d’ouverture à l’amour et au monde

     

    Le liseur du 6H27 est le premier roman de Jean-Paul Didierlaurent, un nouvelliste qui a reçu deux fois le prix Hemingway. Dans un décor qui nous est familier, l’auteur nous raconte l’évolution d’un homme simple, célibataire et sans but précis, qui aime lire à haute voix, dans le RER, des feuillets sauvés du pilon.

     

    Un délicieux conte moderne

     

    Guylain Vignolles a pour meilleurs amis un poisson rouge, un estropié et un ‘alexandrophile’. Il travaille au pilon à la STEP, et passe ses journées à détruire des livres alors que son rêve est d’en éditer. Ses seuls moments de détente sont la lecture des « peaux vives » dans le RER de 6H27. On suit son quotidien, les anecdotes farfelues qu’il évoque, ses passe-temps, qui lui servent à redonner un peu de couleur à ses jours gris. Malgré la morosité de Guylain, les pages de ce livre sont gorgées de poésie. D’une écriture douce et légère, l’auteur nous plonge dans l’univers de Guylain et on se retrouve avec lui, sur la banquette du RER, à nous laisser bercer par ses mots.

    « Lorsque le RER s’arrêta en gare et que les gens quittèrent leur wagon, un observateur extérieur aurait pu sans peine remarquer à quel point les auditeurs de Guylain détonnaient d’avec le reste des usagers. Leur visage n’affichait pas ce masque d’impassibilité qu’arboraient les autres voyageurs. Tous présentaient un petit air satisfait de nourrisson repu. »

    Réaliste ou non ? Cette histoire soulève des choses si belles qu’on peine à croire qu’elles pourraient réellement arriver. Un récit véritablement construit sur le ton de « Il était une fois » et « Ils vécurent heureux »; un conte moderne savoureux, qui se dévore en une bouchée.

     

    Des personnages insolites

     

    Chaque personnage possède sa propre identité, sa psychologie. Ils sont rassemblés dans une atmosphère particulière : un mélange de beau et de laid; leurs espérances, leurs petits plaisirs, au sein d’une vie à la fois morne et éprouvante.

    Ils sont drôles, attachants, singuliers, on les estime profondément, le coeur gonflé de tendresse. On espère jusqu’au bout que chacun trouvera le bonheur, on les suit dans leur progression, avides d’en savoir plus.

    Giuseppe est le modèle de Guylain; il a longtemps travaillé à la STEP et, tout comme notre héros, a craint et haï la ‘Chose’. À présent qu’il est infirme, il vit seul et est en perpétuelle quête de ces fameux livres, Jardins et potagers d’autrefois, qui contiennent les restes de ses jambes arrachées par la broyeuse. Présenté comme un sage, Giuseppe donne des leçons de vie à Guylain, mais on pourrait plutôt penser que c’est Yvon le personnage qui incarne la sagesse : calme et posé, il s’exprime en alexandrins, ce qui créé la surprise chez tous les gens qu’il rencontre, et son sang-froid le rend particulièrement attachant.

    Quand à Guylain et Julie, ils tentent de prendre la vie du bon côté. Guylain a ses petits rituels, comme raconter sa journée à Rouget de Lisle en rentrant le soir, ou bien compter les réverbères qui mènent à la gare, chaque matin, tandis que Julie compte chaque année les faïences de ses toilettes en espérant qu’un jour le total change, mais non, c’est toujours le même.

     

    Une leçon de vie

     

    « Les gens n'attendent en général qu'une seule chose de vous: que vous leur renvoyiez l'image de ce qu'ils veulent que vous soyez. Et cette image que je leur proposais, ils n'en voulaient surtout pas. C'était une vue du monde d'en haut, une vue qui n'avait rien à faire ici. Alors s'il y a une leçon que j'ai bien apprise en près de vingt-huit ans de présence sur cette Terre, c'est que l'habit doit faire le moine et peu importe ce que cache la soutane. »

    Torturés par cette foule qui les rabaisse, les exclut, nos héros luttent pour s’affirmer. Guylain, le liseur, est respecté lorsqu’il est assis sur son strapontin, les feuilles posées devant lui et qu’il lit ses feuillets à un wagon attentif; il n’y entend plus le refrain « Vilain Guignol » qu’on lui a chanté toute sa vie; il n’y entend pas son patron lui aboyer des ordres. Lorsqu’à 6h27, il monte dans le RER, Guylain est un homme respecté, et c’est peut-être une des raisons pour laquelle il aime tant lire. Julie, elle, griffonne ses états d’âme sur son carnet, attendant de la part des clients un sourire, un mot gentil, un petit pourboire. Lorsque Guylain tombe sur le journal de Julie, c’est alors une confrontation de leurs deux mondes, et la philosophie de Julie nous redonne espoir, autant qu’à Guylain. Il voit désormais le ciel plus bleu et la vie plus rose, et on le suit dans cette positivité soudaine. L’auteur nous invite dans son univers, on se laisse bercer par ses mots et, arrivés au bout, on n’en ressort pas indemne.

     

    Avec un brin de tristesse, quelques grammes poésie et un soupçon d’humour, Jean-Paul Didierlaurent a fait naître une pépite, un roman savoureux dont on ne se rassasie pas, qui émeut et adoucit notre quotidien, un livre qu’on a du mal à refermer.


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